
| Vous croyez vraiment en l'interprétation de Copenhague de la physique quantique ?
Pour rappel, elle dit qu'avant une mesure, une particule est dans une superposition de plusieurs états, et que lors de la mesure (observation) se produit un effondrement de la fonction d'onde, c'est-à-dire qu'un seul des différents états possibles est tiré au sort et c'est celui-là qui est mesuré.
C'est l'interprétation de la physique quantique la plus fréquente et la plus enseignée en école. Certains scientifiques ignorent même qu'il existe des interprétations alternatives du genre De Broglie-Bohm...
Personnellement j'aimerais en être convaincu, mais je trouve ça un peu ridicule.
Que fait ma grand-mère en ce moment ? Je n'en sais rien. Peut-être qu'elle dort, qu'elle mange, qu'elle regarde la télévision, qu'elle jardine ? Pour le savoir, je mets mon manteau, je prends la voiture et je vais vérifier chez elle ce qu'elle fabrique, je m'aperçois qu'en fait elle regarde la télé. Le physicien quantique dira qu'avant mon arrivée, elle faisait les 4 à la fois, et qu'à mon arrivée la fonction d'onde de ma grand-mère s'est effondrée et qu'alors elle ne regardait plus que la télé. Ça n'est pas très convainquant. Même un peu malhonnête, dans la mesure où en effet c'est impossible de prouver ou d'infirmer que lorsqu'on ne regarde pas la grand-mère, elle fait tout à la fois. Peut-être même que les deux visions des choses sont valides et équivalentes et que ça ne vaut pas la peine d'en discuter !
Qu'est ce qui amène les physiciens quantiques à penser en terme de superposition d'états ?
Je dirais que ça a démarré avec l'expérience des fentes de Young : des particules sont envoyées sur deux fentes, au delà desquelles il y a un écran. Sur l'écran, les impacts des particules sont regroupés en bandes (il y a des endroits avec beaucoup d'impacts, et d'autres endroits avec quasiment pas d'impacts). On appelle ça une figure d'interférence. Les physiciens adeptes de l'interprétation de Copenhague déduisent que la particule est passée par les deux fentes à la fois, que le premier scénario a interféré avec le deuxième scénario pour produire la figure d'interférence. L'idée est que les bandes vides sont issues de l'annulation d'une phase positive et d'une phase négative, et que pour qu'il y ait annulation, il faut que les deux scénarios concurrents aient bien eu lieu tous les deux. Donc que la particule était à deux endroits à la fois. Ils disent que la particule interfère avec elle-même.
J'ai envie de comparer ça au fait de mesurer les tailles d'un groupe de personnes.
- Une particule envoyée sur les fentes de Young va produire un impact à un endroit spécifique de l'écran. 1000 particules envoyées à travers les fentes de Young vont produire la figure d'interférence. On se réjouit que la courbe obtenue est jolie, qu'on dirait presque que les particules se sont toutes mises d'accord pour former cette figure, et on conclut qu'une particule seule interfère avec elle-même, qu'elle est passée par les deux fentes à la fois.
- On mesure une personne seule, on tombe sur 1m76. En mesurant 1000 personnes, on observe que la répartition des tailles suit une courbe de Gauss (courbe en cloche). On pourrait se réjouir que la courbe obtenue est très jolie, qu'on dirait presque que les gens se sont mis d'accord pour mesurer telle ou telle taille afin de former cette figure, et puis conclure qu'une personne seule interfère avec elle-même (du point de vue de sa taille), qu'avant de la mesurer elle faisait un peu toutes les tailles à la fois.
Ça n'est pas très sérieux. Il me semble beaucoup plus raisonnable de penser que l'interférence n'est pas un phénomène subi par la particule seule, mais une loi statistique qui décrit l'ensemble de l'échantillon. Que ça n'est pas la particule qui interfère avec elle-même, mais la probabilité qu'elle soit passée par la fente du haut qui interfère mathématiquement avec la probabilité qu'elle soit passée par la fente du bas. Mon avis est que l'interférence est un phénomène mathématique qui survient entre deux lois de probabilités, et non un phénomène vécu par la particule. Et finalement, la particule n'est pas à deux endroits à la fois.
J’ai peur que l'interprétation de Copenhague confonde la réalité de la particule avec l'information partielle qu'on a d'elle, c'est-à-dire la supposition qu'elle soit dans tel ou tel état avec des probabilités associées. Du point de vue du calcul, ça n'est pas gênant du tout, l'interprétation de Copenhague ne fait que donner un sens particulier aux formules, mais les résultats restent les mêmes que dans une interprétation réaliste.
L'interprétation de Copenhague apporte également le mystérieux effondrement de la fonction d'onde : c'est l'observation qui provoque le tirage au sort vers une des possibilités. Pourquoi ? Comment ? Personne n'en sait rien. Ça a amené certains physiciens à penser de façon plutôt radicale que ce qui n'est pas observé n'existe même pas. Ou que le fait d’observer un résultat d’expérience après coup vient réécrire le passé.
De plus, l’effondrement de la fonction d’onde se trouve être le seul phénomène indéterministe de toute la science.
À part cette histoire d'interférence (scénario A qui interfère avec un scénario B), il me semble (mais je peux me tromper / oublier quelque chose) que rien ne permet de conclure à une réelle superposition d'états simultanés, ni à l'effondrement de la fonction d'onde à cause d'un observateur. Il me semble qu'il règne une vaste confusion entre la réalité et l'ensemble des états possibles, à cause du fait que la réalité est inconnue.
Ce qui serait merveilleux pour prouver l'interprétation de Copenhague, ça serait que deux scénarios possibles incompatibles s'entrechoquent pour produire un effet observable. Et c'est d'ailleurs ce qu'on a voulu voir dans l'interférence des fentes de Young. Il faudrait cependant que l'effet observable se produise avec une particule seule et non pas avec un grand nombre de particules pour éviter les effets statistiques.
Je suis conscient que j'ai là une opinion très impopulaire
L'argument du consensus scientifique ne s'applique pas dans ce cas-ci me semble-t-il, puisque l'interprétation de Copenhague est généralement la seule enseignée et popularisée.
Des rumeurs fausses mais tenaces circulent également selon lesquelles la violation des inégalités de Bell invalideraient la théorie de De Broglie-Bohm, or il n'en est rien.
Historiquement, Schrödinger était partisan de l'interprétation de Copenhague, et quand De Broglie a émis l'idée d'une interprétation réaliste, ça a été balayée d'un revers de la main pour des raisons idéologiques, alors qu'en bon esprit scientifique il aurait fallu envisager les deux. Plus tard, Bohm a repris les travaux de De Broglie en les consolidant : l'équation de Schrödinger ne décrivant plus le comportement d'une particule unique (comme selon l'interprétation de Copenhague), mais décrivait le comportement de la moyenne de toutes les particules sujettes à la même expérience. Il y a alors bien une distinction entre d'une part l'état réel (inconnu) de la particule, et d'autre part l'ensemble des possibilités qui forment une loi de probabilité. La théorie de De Broglie-Bohm se débarrasse élégamment du mystérieux et inexplicable effondrement de la fonction d'onde.
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