| J'ai réalisé que finalement, les désaccords entre Kenetec et Nova d'une part et moi d'une autre part ne viennent pas tant que ça des chiffres, des statistiques, des faits, mais plutôt de ce que nous en faisons. J'aimerais proposer à Kenetec et à Nova, et à tous ceux que ça intéressera, une sorte d'expérience de pensée. Je pense qu'elle peut démontrer de façon assez simple et très concrète pourquoi les gens qui, par exemple, reprochent aux noirs américains de ne pas simplement militer pour le respect de tous (toutes ethnies confondues), se trompent.
Imaginons un pays fictif composé à 90% de blancs et à 10% de noirs. Dans ce pays, à proportions égales les deux ethnies commettent autant de délits et de crimes l'une que l'autre (je ne dis pas que c'est forcément le cas dans tous les pays, je dis simplement que ça l'est dans ce pays fictif). Parmi les déliquants et criminels que la police de ce pays se retrouve à appréhender, 90% sont blancs et 10% sont noirs, donc aucune racisme de la police à ce niveau-là.
Mais hélas, comme dans n'importe quel autre pays, il arrive parfois que la police de ce pays fasse usage d'une violence excessive (insultes, coups inutiles, etc.). Lorsqu'on regarde les statistiques de ces violences excessives, on se rend compte que 90% des gens qui en sont victimes sont noirs, et 10% sont blancs, alors même que ce devrait être l'inverse. Partons du principe que, après enquête, on apprend avec certitude que cette inversion dans les proportions est dûe à un racisme présent au sein de la police.
Faut-il que les habitants de ce pays militent contre les excès de la police en général, sans aborder la question des proportions ? D'après ce que j'ai pu lire dans vos messages, au cours des divers débats, je pense que votre réponse sera "oui" (pour Nova j'ai malgré tout un doute, pour Kenetec un peu moins, mais je ne suis bien évidemment sûr de rien).
Si j'ai bien compris votre opinion concernant ce genre de chose (n'hésitez pas à me rectifier si je me trompe), votre réponse est motivée par ces deux arguments :
1) ne pas tenir compte des proportions revient au même, puisque dans le but recherché il n'est pas question de proportions (on veut juste le moins de victimes possible)
2) tenir compte des proportions c'est considérer, au moins durant le temps de la lutte, la société comme étant divisée en groupes ethniques, en communautés, c'est donc faire une sorte de racisme involontaire
Pour ma part, à la question que je vous ai posée, je réponds "non", voici pourquoi. Donc pour rappel, quand la police de ce pays se comporte mal, elle le fait 9 fois sur 10 contre un noir, et 1 fois sur 10 contre un blanc. Imaginons que la police de ce pays commet un excès lors de 1 interpellation sur 10. Ça veut donc dire que pour 100 personnes interpellées :
- il y a 90 blancs interpellés dont 1 subissant un excès
- il y a 10 noirs interpellés dont 9 subissant un excès
Ça veut donc dire qu'en cas d'interpellation, un blanc a 1,11% de chance de subir une violence policière excessive, et un noir 90% de chance. Un noir a ainsi 90/1,11 = 81 fois plus de chance de subir un excès qu'un blanc. Notez que ce résultat reste vrai quelle que soit le pourcentage d'interpellation aboutissant à un excès, dans mon exemple c'est 1 sur 10 mais ça n'a aucune incidence sur le "81 fois" obtenu.
(j'ai effectué ces calculs pour que l'on sache exactement de quoi on parle, mais l'important à retenir, ici, c'est simplement qu'une personne a davantage de chance d'être victime d'excès de la police si elle est noire ; si au lieu de 81 j'avais obtenu 2 le discours qui va suivre resterait valable)
Ce qui nous amène à ma réponse à l'argument 1). Dans ce pays, comme dans n'importe quel pays, lorsqu'on lutte contre les violences policères on peut diminuer leur nombre, mais on ne pourra probablement jamais les éliminer à 100%, ou pas avant plusieurs siècles. Et donc, en attendant, puisqu'il reste de la violence policière, il va rester une injustice dans l'injustice : subir un excès de la police c'est injuste (qu'on soit noir ou blanc ça l'est autant), mais avoir plus de chances de subir cet excès que son voisin simplement parce qu'il est blanc et nous noir, c'est une autre injustice, qui s'ajoute à la précédente, et qui mérite également d'être dénoncée. Si la police de ce pays ne faisait pas de discrimination, le nombre de victimes serait le même, et à la place de certains noirs ce seraient des blancs qui seraient victimes. Ces derniers mériteraient-ils davantage leur sort ? Non, bien évidemment. La situation serait-elle plus juste pour autant ? Il me semble, oui.
Pour comparaison : imaginez que 1000 candidats veulent rentrer en fac de lettres, et qu'ils sont tous aussi méritants les uns que les autres, mais qu'il n'y a que 100 places. Pour trancher, la fac choisit de prendre 100 candidats au hasard, ...sauf pour les candidats roux, qui ont été écartés avant que ne débute le tirage au sort, le directeur de la fac n'aimant pas les roux. Est-ce que les candidats reçus, bénéficiant involontairement de cette discrimination, ne méritent pas d'étudier dans la fac de leur choix ? Si. Pour autant, la situation reste davantage injuste que si le tirage au sort avait inclus tous les candidats, roux compris.
Donc concrètement, quand les noirs américains (et une partie de la communauté blanche) brandissent des pancartes "black lives matter", ils demandent à ce que soit corrigé (autant que possible) le "problème dans le problème", en plus bien sûr du problème général, qui concerne cette fois tout le monde. Ma réponse à l'argument 2) est la suite logique de tout ce que je viens de dire. Dire que telle ou telle communauté est davantage discriminée que le reste de la population, ce n'est pas être communautariste, c'est simplement ne pas nier l'existence de la discrimination en question, pour mieux la combattre. Ne pas parler du racisme anti-noirs, du racisme anti-arabes, de l'antisémitisme, de la misogynie, de l'homophobie... ne permettra jamais de faire reculer ces discriminations. Un raciste, par exemple, ne deviendra pas moins raciste sous prétexte qu'il ne voit nulle part, dans les médias ou dans sa ville, des gens parler des noirs, des arabes, etc., en tant que "groupes discriminés".
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